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Terre Rouge. Un hangar sans enseigne près de la route départementale. On se gare devant, il y a plein de places. Les trésors, eux, sont à l’intérieur. Thomas Ducros nous attend pour une visite sans chichi des “ Petites sportives”.
La trentaine toute fraîche, survêtement, sweat Petite sportive. Content. Thomas nous montre direct le « projet C15 turbo 16 suivi par les abonnés sur YouTube » : une épave délavée désossée… 27 800 abonnés à la chaîne YouTube Petite sportive suivent ce projet. Bon, y’a un truc. Thomas nous guide entre les voitures : une Xsara “montée circuit”, une 206 “montée circuit” puis, à l’intérieur, une 106 S16, une 205 GTI turbo, une 306 turbo 16 – « on l’a refaite de A à Z » – une Golf G60… Les odeurs d’huile, de graisse et de nettoyant me rappellent l’enfance. Il y avait des établis dans les garages et nos grands-pères connaissaient “la mécanique”
« REGARDEZ OÙ VOUS MARCHEZ ! »
« Attention ! Il faut regarder où on pose le pied ici, rigole Thomas. On essaie de ranger mais bon… ». Les outils, les pièces détachées, jonchent le sol. Nous passons devant l’atelier. Derrière une porte double j’aperçois une perceuse puis un poste à souder, des clés dynamométriques, un compresseur, des servantes… le tout pêle-mêle avec poussière et petits débris, vis, rondelles, caoutchoucs. Vu de l’intérieur, le hangar désaffecté révèle un garage semi-professionnel. Il y a même un pont élévateur. « Donné par l’Institut des Terre Rouge. Un hangar sans enseigne près de la route départementale. On se gare devant, il y a plein de places. Les trésors, eux, sont à l’intérieur. Thomas Ducros nous attend pour une visite sans chichi des “ Petites sportives”.
Marié à la Petite sportive ! métiers de Clermont. Les parents ont aidé, on fait les casses et les garages, ça fait cinq ans qu’on aménage… On pourrait encore améliorer, dit Thomas machinalement. Là, on va changer l’éclairage. On va mettre des LED, ce sera plus blanc, plus clair. » Je lève le nez. Quatre vieux néons déglingués éclairent faiblement en faisant “Bzzz”.
Thomas se dirige tranquillement vers un escalier métallique sans chichi qu’il nous invite à monter. On le suit. « L’escalier, c’est nous qui l’avons fait… et voilà ! ». En haut, la mezzanine est aménagée en bar salon avec des sofas, des palettes en guise de tables et deux frigos qu’on imagine garnis de bières. Vue plongeante sur les 250 m² et les cylindrées refaites de A à Z. Un ange passe. On arrache Thomas à sa contemplation : « Vous venez souvent ici ? »
CONTRÔLER SA PASSION
Thomas est électricien industriel. Il a créé l’association en 2015 à cause d’une 205 GTI avec laquelle il s’est marié en 2018. Rectifions : son épouse et lui-même se sont mariés dans la voiture. Du moins, c’était la voiture de leur mariage. Bon, passons. Après la 205 GTI, il a vu une vidéo de 76 Perf Swap Auto. C’est à partir de là qu’il a “chopé le virus”. Je garde prudemment mon masque. Heureusement, Thomas précise qu’il ne faut pas « se laisser manger par sa passion ». Les voitures sont en perpétuelle évolution. « Comme les pièces coûtent assez cher, on prend le temps de vivre avec les transformations». Tandis que je me demande ce que signifie « vivre avec les transformations », Thomas vient à ma rescousse. Chacun est propriétaire de sa voiture et la transforme à son rythme et selon son budget, son temps, ses idées. Mais tout le monde s’entraide. Comme les voitures n’ont pas le droit de rouler sur les routes de France, elles sont transportées sur des plateaux jusqu’au circuit d’Issoire par exemple ou celui du Pouilly en Auxois. C’est celui du Bourbonnais à Moulins qui a sa préférence – « plus sinueux ». Sur les circuits, « on peut rouler vite, sans contrainte ».
ROULER POUR ROULER
J’imagine qu’il y a des prix, des compétitions ou des tournois avec des trophées, des remises de coupe. Mais Thomas m’arrête tout de suite, « on roule pour rouler » dit-il. On se regarde. Je repense à l’unique fois de ma vie où j’ai conduit une grosse cylindrée un peu légère, celle d’un copain. Au frisson de sentir la puissance des chevaux sous le capot en appuyant sur l’accélérateur et la voiture qui décolle. Cela donne envie d’essayer illico un de ces petits bolides.
Et sinon, comment fait-on pour rejoindre la compagnie m’enquis-je innocemment ? « Ça se fait de fil en aiguille, on vient au garage, on bricole… Il y a une ambiance très amicale, on rigole ». Thomas lance une musique tirée de sa playlist sur la grosse enceinte posée au sol. De l’autre côté, du Ninho et Nekfeu s’écoulent en fond sonore. Nous devinons la connivence qui unit les passionnés de mécanique par-delà les distances. Thomas parle d’un préparateur lyonnais auquel il a deux fois confié THE 205 GTI, d’un copain de Saint-Étienne qui a pris racine et cherche un pied-à-terre, des pièces rares pour lesquelles on est prêt à faire des centaines de bornes, des nombreux rallyes qui rapprochent les amateurs sur le territoire. Au final, « c’est une assez grosse communauté ». Puis, Thomas évoque le temps d’avant l’épidémie, « quand on organisait à Ambert des rassemblements de 450 voitures qui attiraient des milliers de visiteurs ».
Alors en route pour 2022 !
Florasse. À la lisière du bois, un vaste ensemble de bâtis traditionnels. Nous avançons jusqu’à la cour. Aboiements de chiens, piaillements d’oiseaux. Tout est verdure. Véronique Arnaud vient à notre rencontre.
La soixantaine, Véronique Arnaud nous fait entrer dans un ancien atelier, son nouvel espace de vie, tandis que d’autres bâtiments autour de nous sont visiblement en rénovation : « C’est un projet familial collectif, explique-t-elle en prenant nos manteaux. Il y a trois granges, deux maisons, la forge. Nous sommes huit personnes et des bébés en route ! ». Un modèle d’habitat participatif et solidaire à petite échelle. On dit bravo, et merci pour le thé fumant. Quant à Véronique, elle est plutôt café.
LE REFUGE DANS LA TEMPÊTE
Elle a baroudé, on ne retient pas tout. Mais Ambert Livradois Forez est le territoire où elle a grandi et où elle a souhaité revenir vivre à la quarantaine « pour offrir une vraie qualité de vie aux enfants ». Elle avait accepté un poste de d’un collectif savoyard. Maintenant elle construit des poêles de masse en terre : « une flambée chauffe la maison pendant 48 heures ! ». Des trajectoires comme celle-ci, des installations de familles entières sur le territoire, Véronique en a plein à raconter.
LES SAVOIR-FAIRE TRADITIONNELS MENACÉS
Alors ce CAP, c’est un succès non ? Véronique s’échauffe. Oui et non. Elle explique que, même sur un projet Pôle Emploi, on peine à recruter des profils « classiques », demandeurs d’emploi non qualifiés, un public difficile à convaincre. Alors, souvent, ce sont des profils atypiques qui se positionnent. Des gens qui ne rentrent pas dans les cases. Donc qui suscitent des a priori. « Aujourd’hui le bouche-à-oreille fonctionne. En septembre dernier, le GRETA a reçu huit candidats alors qu’il n’y a eu ni opération de communication ni appel d’offres ».
ÉNERGIE POSITIVE
Conseillère formation au GRETA : « Il y a 20 ans, il y avait déjà un regain d’intérêt pour les métiers manuels de la part des cadres et des professions intermédiaires, mais aussi de personnes diplômées en quête de sens ». Et enchaîne : « On vit dans un monde complexe, paradoxal, qui fragilise ». Sa parole est facile, profondément humaine. Le bois crépite dans le poêle et j’ai le sentiment d’avoir trouvé un refuge au cœur de la tempête.
2009, LA CRÉATION DU CAP MAÇON ÉCOCONSTRUCTION
Quelque temps après son retour au pays, Véronique a initié le CAP Maçon écoconstruction, véritable projet de territoire, pour répondre à la demande et aussi à la perte des savoir-faire traditionnels. Rentrée 2009, première promotion. Elle se souvient de Clément, de Julie et de bien d’autres avec émotion. « Ces personnes et les suivantes veulent toutes vivre sur un territoire à taille humaine. Ce sont des profils atypiques qui ne cherchent pas la sécurité de l’emploi et s’engagent dans de multiples activités, créent des liens avec les autres, avec la nature, avec le territoire ». Elle nous raconte l’histoire de Julie, ingénieure informatique, parisienne, mère de trois enfants en bas âge, menue, discrète. « Toute la famille s’est installée dans un mobil home le temps du CAP ! ». Ensuite, Julie s’est spécialisée en fumisterie et en thermique au sein On sent bien que Véronique n’a pas tout dit. Il reste un morceau coincé en travers. Elle parle d’une centaine de stagiaires depuis la création du CAP, se souvient de temps forts où les acteurs du territoire se mobilisaient pour son maintien. « Les modalités de financement ne permettent pas de fidéliser une équipe de formateurs dans le temps. Tout est remis en jeu chaque année, c’est tellement fragile ».
UN AVENIR DÉSIRABLE
Véronique le dit tout de go : « Je suis en colère, oui, en colère ! ». Son humeur contraste avec l’inertie du bois, de la pierre, de la chaux, des tapis et des tommettes au sol. « Il faut soutenir les jeunes qui s’engagent dans la vie rurale. Ce sont des gens formidables, motivés, travailleurs ». Elle dénonce la grossièreté de certains aménagements comme les « zones pavillonnaires » et les « blockhaus » dans un paysage où le bâti initial état totalement intégré à son environnement. Pour elle, cela ne va pas dans le bon sens. Alors, à son échelle, tel un colibri, elle construit patiemment un projet de vie désirable avec ses proches, ici et maintenant. Elle projette des ateliers : bois, peinture. Les trois ménages préparent « un énorme potager, l’eau de source est captée ». Ce lieu de vie intergénérationnel et résilient, c’est un rêve qui prend corps. « Tous les gens qui s’installent ici sont là-dedans et la crise du Covid n’a fait qu’amplifier le mouvement ». Une perspective qui donne du baume au cœur de Véronique.
Chaboissier à Fournols. Trois longères resserrées dans un virage à 1000 mètres d’altitude. Des bois noirs d’épicéas, des parcelles en hivernage, l’horizon vaste et le Bistro’van de Pierre-Étienne. Nous sommes arrivés.
Nous sortons de la voiture, il sort de chez lui, Fury lève le nez et s’approche au pas. Jean, sweat et gapette marron vissée sur la tête, Pierre-Étienne va caresser les naseaux de sa jument – « j’ai toujours eu des chevaux » nous dit-il en premier. Puis il nous guide vers l’intérieur de la grande bâtisse rurale bien chauffée. Crépitement du poêle. Le foyer de la cheminée est de ceux où l’on tient debout. Pierre-Étienne, un « presqu’Auvergnat » de 39 ans, nous fait visiter l’ancien habitat traditionnel, « agrandi au fil des siècles ». En effet c’est grand, très grand… « C’était notre maison de vacances quand j’étais petit. J’ai toujours dit que je m’y installerais ! » raconte-t-il en riant. Depuis 2002 il fait des travaux, « un peu chaque année ». Sa dernière réalisation ? La grange où il a posé 140 m² de plancher. Entre autres.
COMME UNE ENVIE D’ACCUEIL
Nous retournons au salon où l’odeur du café couvre bientôt celle du bois de chauffe. Dehors, on entend la source qui glougloute. Quand nous lui demandons ce qu’il veut faire de tout cet espace, Pierre-Étienne s’anime. « Nous voulons accueillir des gens pour faire découvrir ce territoire riche et oublié » lance-t-il comme 0 4 – 0 5 Chaboissier à Fournols. Trois longères resserrées dans un virage à 1000 mètres d’altitude. Des bois noirs d’épicéas, des parcelles en hivernage, l’horizon vaste et le Bistro’van de Pierre-Étienne. Nous sommes arrivés. la passion du territoire ! un cri du cœur. Puis il explique que « le Livradois est le parent pauvre de l’Auvergne alors qu’il regorge de richesses. Le Forez est spectaculaire de prime abord, avec ses jasseries et ses Hautes-Chaumes, il est abordable tout de suite. Le Livradois est plus secret mais tout aussi magnifique. Juste, il faut plus de temps pour le découvrir ». Un projet a déjà avorté. L’idée de construire des cabanes s’est révélée infaisable en raison de la loi Montagne qui règlemente l’occupation des sols pour préserver les paysages. Qu’à cela ne tienne ! Pierre-Étienne s’est lancé dans l’aménagement d’un gîte.
LA TOURNÉE DES GRANDS FÛTS
Et le drôle de van garé là devant, c’est quoi ? « Ouh là, c’est toute une histoire ça encore… ». Ça tombe bien, nous sommes là pour ça. « J’ai travaillé à la Jasserie du Coq Noir pendant 4 ans. C’est un lieu magique, mais je faisais 80 kilomètres tous les jours et je souhaitais me recentrer. C’est là qu’avec mes collègues, Anthony et Romain, on a eu l’idée de reprendre un bistrot d’Ambert. Malheureusement, la Covid a planté le projet. J’ai rebondi avec le van. Je l’ai transformé en bistrot itinérant. Cela me permet de proposer petite restauration et boissons locales sur tout le territoire, donc ça va ».
DU TEMPS, DU GOÛT ET DU TALENT
« Je vous ressers du café ? » Euh oui, volontiers. Charpentier, maçon, carreleur, bistrotier, père au foyer, animateur nature : nous pensons avoir fait le tour des talents de Pierre-Étienne et l’interrogeons sur sa motivation. Où trouve-t-il l’énergie de s’investir tous azimuts ? « C’est de la folie » reconnaît-il. « J’aime profondément ce territoire. Mais nos commerces meurent, nos écoles ferment, l’hôpital est menacé… Entre 2006 et 2012, j’étais élu municipal » confie modestement le gaillard. « Je ne pense pas renouveler l’expérience, mais je suis convaincu qu’il y a des choses à faire. »
FAIRE CONFIANCE À L’AVENIR
Nous réalisons seulement maintenant que nous parlons à une personnalité locale. Qui l’eut cru ? Nous ne pouvons pas repartir sans l’avoir interrogé sur sa vision. Pierre-Étienne hésite un peu avant de réendosser son costume d’élu. « Les petits villages ont besoin d’investissement » soupire-t-il. « Nous avons de belles routes que nous entretenons mais cela ne fait pas tout. Il y a des jeunes qui s’installent, ils ont des enfants, nous devons répondre à leurs attentes et recréer une dynamique. Nous avons plein de locaux vacants qui pourraient accueillir des projets, des structures compétentes comme la Communauté de communes ou le Parc naturel régional… je suis confiant. » Pierre-Étienne sourit et c’est communicatif !
PARC D’ACTIVITÉS DE MONTAGNE DE PRABOURÉ
Lieu-dit Prabouré, 63660 Saint-Anthème
04 73 72 19 76 / semdepraboure@live.fr
www.praboure.fr
Après 7 kilomètres de route sinueuse en pleine forêt, nous débouchons sur un parking bétonné de 500 places : station de Prabouré, fin de la route. Bout du monde ensauvagé aux portes des Hautes-Chaumes.
« Il y a juste un camion qui arrive, je vois avec le chauffeur et je suis à vous ». François Philibert, le directeur de la station, n’est pas en costard mais en tenue de chantier. Pantalon multipoches et chaussures de sécurité. Nous sommes le 26 octobre, il est 8h50. Deux téléskis, une immense tour, une tyrolienne et des filets aux arbres accrochent le regard. Nous humons des odeurs de terre fraîche, retournée. Des trouées de ciel bleu embrasent les feuillus jaunes. Il fait 4°C.
« L’avant-saison à Prabouré, c’est des chantiers de terrassement, de raccordement électrique, de barrières à neige… » commente François. Nous entrons dans un chalet en bois. C’est le snack. Le bureau est aménagé dans l’arrière-boutique. Le directeur s’excuse, il faudra écourter l’entretien car il remplace au pied levé un technicien en réunion tout à l’heure. Nous dégainons aussitôt de la poche notre liste de 37 questions.
FRANÇOIS ET LE SENS DU TIMING
Tout a commencé à l’été 2008 : alors qu’il est en vacances dans sa région natale, près d’Ussonen-Forez, il tombe nez-à-nez avec son maître de stage qui lui propose de le remplacer. François démissionne de l’Office national des forêts où il travaillait en Haute-Marne. « Ce n’est pas du tout mon pays, je ne m’y sentais pas si bien » explique celui qui a « tout de suite accepté l’offre ». On lui avait dit : tu verras, Prabouré c’est la fin, ça ouvre quelques jours par an, il n’y a plus de neige… « Et l’hiver 2008 fut l’hiver du siècle ! Nous avons ouvert de novembre à avril, nous étions refaits » explique le directeur. « Nous avions besoin de ces recettes car la station souffrait d’un manque d’investissement. C’est vous dire : deux des trois téléskis n’étaient même pas électrifiés ! Ils tournaient avec des moteurs thermiques hors d’âge qui démarraient plus ou moins, ne chauffaient pas les cabanes des saisonniers… d’ailleurs l’un d’eux a tout de suite lâché ».
STABILISER LA GOUVERNANCE, TROUVER LE MODÈLE ÉCONOMIQUE
Treize ans plus tard, la petite station auvergnate affiche une forme insolente. Alors, que s’est-il passé ? « La réalisation dont je suis le plus fier est la création de la SEM en 2012 avec la Communauté de communes de la Vallée de l’Ance. C’est une société de droit privé qui simplifie la gestion. Nous n’avons pas les contraintes du public, nous sommes plus flexibles pour aller plus vite sur les projets » répond François du tac-au-tac. « Pour moi, c’est vraiment l’acte fondateur ». Puis il balaie la période qu’il découpe en deux parties : « De 2008 à 2012, nous avons renforcé l’offre hivernale, et après 2012 nous avons développé une offre d’été. Aujourd’hui celle-ci permet de maintenir l’activité d’hiver qui est beaucoup plus aléatoire » enchaîne-t-il en regardant distraitement un téléphone qui s’est mis à sonner.
UNE OASIS AU MILIEU DU DÉSERT
François développe son idée comme on tire un fil : « La saison estivale est forte, stable, voire en progrès chaque année. Avec la tour panoramique, nous venons de faire notre plus gros investissement : 850 000 € ! Ce n’est pas rien… Ce type de projet ne serait pas possible en s’appuyant seulement sur la saison hivernale ». Mais alors, l’hiver à Prabouré, c’est vraiment fini ? « Ici, on est tous fans du monde de l’hiver » sourit François.
« Imaginez un peu : d’octobre à mars on est en plein désert, y’a rien. Soudain il neige et c’est blindé, on vend 700 forfaits dans la journée ! Ça nous fait vibrer… »
AVEC OU SANS NEIGE, ON SAIT FAIRE
Le directeur est complètement tranquille. Il a plein d’arguments pour démonter l’idée reçue selon laquelle l’avenir des stations de moyenne montagne est lié à l’enneigement. Il rappelle que l’année de construction des principaux téléskis, Prabouré n’a pas vu tomber un seul flocon ! C’était en 1963. « Aujourd’hui, beaucoup de massifs commandent des études avec des climatologues sur la base des projections du GIEC pour connaître la durée de vie de leurs stations. » Mais lui n’est pas fan. Il préfère s’appuyer sur sa compagne qui travaille à ses côtés depuis dix ans. « C’est crucial », souffle-t-il avant de file
Centre-bourg de Saillant. Une église romane en pierre de taille magnifiquement rénovée. Un parvis pavé, une place ronde et douce et, en face, l’imposante bâtisse paysanne du Relais des Orgues. On entre sans frapper.
« Y’a quelqu’un ?! » Quelques secondes plus tard déboulent Cécile, 43 ans et survêtement, Hubert, 47 ans et tenue de plombier, Fabien, 39 ans et bleu de travail. Tout le monde s’ébroue, s’organise – « je te rappelle plus tard » – et s’assemble autour d’une table face au bar. Nous faisons de même. Ils ont un peu de temps avant de retourner à leurs activités respectives : ménage, nourrissage des vaches et réparation de chaudières. C’est prévu. Mais tout de même, on ne va pas y passer la matinée.
Fabien, enfant du village et fils d’agriculteurs, attaque d’emblée : « L’ancien boulanger est parti il y a 3 ans. Il n’y avait pas de repreneur. Alors moi, vous comprenez, je ne pouvais pas voir mourir le seul commerce de Saillant. En plus, je connais très bien le village et la vie locale, je crois que c’est un réel atout pour reprendre le commerce. » Après plusieurs réunions d’habitants avec les représentants de la commune et de l’intercommunalité, le Relais des Orgues nouvelle génération a vu le jour et ouvert ses portes le 18 juin 2018. L’appel de Londres me revient en mémoire, et je ne peux m’empêcher d’y voir un symbole républicain. Alors, quels services propose le Relais des Orgues aujourd’hui ? « Eh bien, c’est simple, dit Hubert, on répond à toutes les demandes des gens. » On ne laisse pas divaguer son imagination sur toutes les demandes des gens, non. Soyons sérieux.
ON AVAIT PAS MAL D’IDÉES
« J’avais pas mal d’idées, dit Hubert. On a créé une SNC parce qu’on peut y mettre plein d’activités. Nous faisons bar tabac presse, relais postal, boulangerie, épicerie, gaz, restauration et Française des jeux. » Fabien me demande si j’ai bien tout noté. Oui, c’est bon. Je suis un peu affolée par l’ampleur de la tâche – la bâtisse fait 120 m² au sol, sur deux étages, avec 15 couverts, services midi et soir. Mais comment font-ils ? « Ce qui était pénible, au début, c’est qu’on a dû délaisser un peu nos activités respectives pour faire les formations réglementaires sur le tabac, le gaz, le loto… ça nous a pris du temps » s’accordent Hubert et Fabien. Ah oui, j’avais oublié qu’ils avaient un travail à côté. En plus. Ils n’ont pas reçu d’aide au démarrage, mais contracté deux emprunts bancaires de 15 000 € et apporté 10 000 € sur leurs fonds propres pour les travaux et la trésorerie. La peur du risque ? Connaissent pas. Ils sont tous deux entrepreneurs, et le montage de projet leur a semblé « facile ». Bon, et Cécile alors ?
UN LIEU DE VIE, CRÉATEUR D’EMPLOIS ET D’ÉCONOMIE LOCALE
« Moi j’étais salariée au début, puis j’ai rejoint les associés en 2019. » Ah bon ? « J’ai accroché sur les gens, j’ai adoré Saillant, et les gars sont chouettes. J’avais envie de m’investir. Je me projette à 200 % dans cette aventure. » Je trouve suspecte une entente si parfaite dans un collectif d’associés. D’expérience, je sais que c’est rare. « Ça a changé entre nous, admet Fabien. C’est comme si on était mariés, on se voit plus que nos familles. » Rires et coups de coude amicaux sous la table. Comme j’attends la suite, Hubert ajoute « nous avons trouvé notre rythme, chacun a pris sa place dans le travail ». Il y a aussi Thierry en cuisine, et Ginette en renfort les week-ends. Le recrutement d’un serveur saisonnier est en cours, « mais on aimerait faire un CDI ». Je questionne la santé financière de l’entreprise qui supporte bientôt quatre emplois, et Fabien confie que « le réalisé dépasse le prévisionnel, plus, plus ».
L’ÉNERGIE VIENT DU BUT, DE L’OBJECTIF
Le climat change. Midi approche et l’appel du travail se fait sentir. Je ne peux pas libérer Cécile, Hubert et Fabien sans avoir entendu le plus beau : ce qui les pousse, ce qui les anime. L’attachement au pays arrive tout de suite – « je suis né ici », « c’est un très beau village auvergnat pas loin des villes », « j’aime la campagne, la montagne, la nature » – en lien avec un objectif clair : « On ne voulait pas que le village meure. » L’un souligne l’impulsion donnée par la mairie, l’autre le goût du challenge. Quant à l’épidémie de covid, elle est à double tranchant : les fermetures ont freiné l’activité, mais de nouvelles familles sont venues des grandes villes et ont racheté des biens. Tous trois sont fiers de ce qu’ils ont fait, contents que ça marche. Un ange passe. Il est temps pour nous de partir. Direction : les orgues basaltiques du volcan du Montpeloux qui ont donné leur nom au Relais et sont « parmi les plus belles d’Europe ».
…
Lieu-dit Cibertasse, à l’est de Vertolaye. Nous sommes à 670 mètres d’altitude et je ravale ma déception : c’est "jour blanc“, pas de vue sur la vallée. Un homme de 73 ans m’accueille, qui dégage une étonnante impression de vigueur.
« Vous êtes la journaliste de Pep’s ? C’est un très bon magazine, j’apprécie beaucoup. » Michel Grangemard est visiblement doué pour les relations humaines. Il me guide jusqu’au vestibule où je laisse mon sac, mon manteau, mes chaussures. « Je vis là où je suis né, commente-t-il. C’est la ferme de mes grands parents. » La pièce à vivre est rénovée avec de larges ouvertures sur un paysage « exceptionnel »… je me console avec un petit café.
« J’ai commencé à travailler à 14 ans. J’étais coiffeur dans la plaine du Forez. Je faisais des concours, j’étais passionné. » À peine le temps de sortir mon calepin que Michel est à raconter son parcours ! Il connaît la ligne éditoriale du magazine, et je me pose tranquillement sur le timbre de sa voix : « Puis j’ai tenu un salon à Ambert. Dans les années 80, j’avais cinq employés. J’ai formé des dizaines de coiffeurs. J’étais passionné. » Passionné, Michel semble l’être encore. « La fédération française m’avait nommé formateur national, puis conseiller professionnel. J’allais à Paris deux fois par an pour les grands défilés, puis je revenais transmettre ces lignes de coiffure à Clermont, Moulins, Vichy en organisant à mon tour des défilés. » J’attends que Michel dise qu’il était passionné, mais non. Pas cette fois.
« JE PARTAGE »
J’apprends que Michel organisait des défilés qui réunissaient 2 000 personnes à Ambert, autour de 24 commerçants, avec « le dessinateur le plus rapide du monde » qui venait gratuitement dessiner en live. J’apprends qu’il a accompagné la mixité dans les salons en formant les coiffeurs aux coupes pour hommes et pour femmes. Qu’il s’est engagé bénévolement dans le syndicat d’initiative et le centre intercommunal d’animation en pilotant « Ambert côté jardin » ou encore « L’art dans la rue, dans une ambiance de place du Tertre sur la butte Montmartre : des milliers de visiteurs sur deux jours et une centaine de peintres ». Mais je comprends vraiment ce que signifie le mot passion quand Michel dit : « On m’a aussi demandé de créer un marché de Noël avec de petits cabanons. Je n’en avais pas envie… mais je l’ai fait quand même. » La passion de Michel, ce n’est donc pas la coiffure, le show ou Paris ; c’est le partage.
UNE ÉDUCATION TOURNÉE VERS LES AUTRES Je subodore que la suite est à l’avenant, et que Michel n’attendait pas une retraite bien méritée pour enfiler des charentaises. Des dossiers épars d’Initiative Thiers Ambert jonchent la table. Je l’interroge. « Je suis membre de l’association et parrain. Nous accompagnons les gens qui veulent acheter, créer ou reprendre une entreprise. Nous octroyons des prêts d’honneur à taux zéro pour compléter les apports de fonds personnels. » J’ai l’impression d’avoir soulevé le couvercle d’une marmite sur le feu. Michel n’a pas besoin de dormir beaucoup. Pour lui, c’est naturel de s’investir sur le territoire – « je l’ai toujours fait ». Sa motivation vient de son éducation, dit-il : tournée vers les autres.
DES ARDÉCHOIS, DES VILLEURBANNAIS, ET D’AUTRES ENCORE
« Actuellement, j’essaie d’aider un jeune couple avec quatre enfants. Ils sont à trois kilomètres d’ici. Ils ont repris une pisciculture en liquidation judiciaire, et ils ont besoin de plein de choses » raconte Michel. « Je suis assez sensible et ils m’ont touché » ajoute-t-il comme pour se justifier. « Je leur ouvre mon réseau, je les aide à vendre leurs produits en fin d’année, je leur prête une remorque pour transporter les alevins… » Michel planche aussi sur le dossier d’une famille hôtelière à Villeurbanne qui s’intéresse au très bel Hôtel des Voyageurs de Vertolaye. Des exemples comme ceux-ci, j’imagine aisément qu’il y en a beaucoup d’autres.
UNE DYNAMIQUE TRÈS POSITIVE DEPUIS CINQ ANS
Michel sait ce que je suis venue chercher et continue à dérouler le fil d’un récit encourageant. Il indique que, « depuis la pandémie, le comité d’Initiative Thiers Ambert reçoit deux ou trois dossiers d’installation chaque mois. C’est beaucoup ». Il constate que « ça a changé : certains viennent des grandes villes ». Pour lui, « les gens qui viennent de l’extérieur sont vraiment positifs. Ils portent un autre regard sur notre région. Ça redistribue les cartes et il existe un meilleur équilibre maintenant sur le territoire ». Il rend aussi hommage à l’engagement de Patricia Valma, sous-préfète pendant quatre ans, « qui a apporté beaucoup de positivité ». Finalement, je suis obligée d’arrêter le récit de Michel qui aurait encore des dizaines d’exemples à donner des gestes qu’il fait pour la réussite des autres.
"C’est ouvert" annonce crânement un panonceau sous le porche. Je pousse le portail de Sauve qui pousse, et j’entre. Le paradis s’étend sous mes yeux : toutes les plantes de la création semblent s’être données rendez-vous sur cette arche de Noé.
L’espace s’ouvre sur un empierrement paré de rondins où percent des vivaces. Et au-delà 1 600 m² de plantations attirent le regard, puis un jardin attenant avec un groupe serré de maisons en pisé, un tracteur au loin, quelques fermes, les oiseaux et l’activité tranquille du village à l’arrière-plan. Il fait beau. Je me pose à l’une des tables ouvragées en roue de charrette, et je savoure le moment. Des odeurs piquantes et variées me flattent le nez. Deux tiges plus hautes que les autres avancent vers moi : Camille, 29 ans, cheveux attachés, en imper et bottes tout terrain avec à la taille une sacoche remplie de secrets ; et Axel, 31 ans, corps de charpentier, gapette et sweat Sauve qui pousse. Ils portent de grosses chaussures mais sont « pieds nus l’été parce que c’est bon de marcher sur l’herbe ». Le jeune couple a ouvert la pépinière en 2022. Il y passe ses journées. Ce projet, la région… Camille s’y prépare inconsciemment depuis l’enfance. « J’ai toujours tanné mon père pour venir habiter ici, mais ça n’a jamais marché » raconte-t-elle.
UNE FABRIQUE À CIEL OUVERT
« Nous tâtonnons, nous sommes en perpétuelle recherche » explique Axel qui avoue « multiplier les greffes de façon un peu effrénée ! ». De fait, certaines espèces produisent seulement 20 % de plantes commercialisables. Axel est spécialiste de la greffe « à l’anglaise », mais Camille « perd trop de doigts » avec cette technique : elle préfère la greffe d’été. Alors, combien de petits ont-ils engendré tous les deux ? « C’est très difficile à estimer » répond Axel. Sauve qui pousse recenserait 2 000 à 3 000 plantes issues d’environ 250 espèces pour la pépinière, et quelque 7 000 arbres fruitiers sur un champ non loin. Ici, la multiplication des arbres est une priorité : en 2020, le couple avait commencé les fruitiers sur une base de 3 000 pieds. Camille souligne l’intérêt de « rempoter et diviser au lieu de jeter. Nous sommes pépiniéristes : si la plante n’est pas vendue une année, elle continue à prendre de la valeur ». Axel et Camille sont tous les deux sur l’exploitation. Ne craignent-ils pas d’être débordés par leur création foisonnante ? « Non, on peut encore grossir » répond Axel qui a tout calculé – « surface, main d’œuvre, arrosage »
« CET HIVER, ON N’A PAS CHÔMÉ »
Du bois de charpente gît à mes pieds. « C’est pour le chalet d’accueil » commente Axel. Les travaux d’embellissement ont succédé au gros œuvre, et des voiles d’ombrage protègent les plantes avec poésie à la façon de baldaquins. L’harmonie nouvelle qui prend place fait peu à peu oublier le bourbier de l’hiver, « le tractopelle, les trous, le sol gelé jusqu’à 15 centimètres, la terre retournée ». Camille et Axel ont acheté le terrain en septembre 2021 et démarré les travaux de suite. « Il n’y avait rien, c’était une prairie. Nous avons d’abord dû saccager le terrain, et cette étape ingrate nous déprimait parce nous rêvions de construire un bel endroit » se souvient Axel. Il regarde Camille, puis rigolent ensemble. L’entreprise agricole a reçu une aide à l’installation de la Chambre d’agriculture que viennent compléter un emprunt bancaire sur sept ans et des fonds propres.
« UNE PRODUCTION COHÉRENTE AVEC NOS IDÉES »
Au printemps, ils ont mis des poissons rouges et des carpes Koï dans la réserve d’eau : maintenant, ils n’ont plus de moustiques ni de larves et en plus… c’est beau. Camille explique qu’ils plantent des espèces favorables aux pollinisateurs et à la biodiversité. Je n’ai plus besoin de poser de questions, ils sont lancés. « Notre objectif, c’est de produire localement des espèces adaptées qu’on vend sur le territoire d’Ambert Livradois Forez » poursuit Axel. « Nous développons des gammes de végétaux rustiques, naturellement résistants au froid, au sec, au vent et au chaud. Ils sont faciles d’entretien et durent longtemps ». Avec les volumes de production arboricole, Camille et Axel pourraient contribuer à l’aménagement paysager de grands espaces – « mais ce sera pour plus tard ». Ils imaginent aussi « une pépinière agréable à vivre où l’on viendrait juste pour flâner, se rencontrer » comme dans un jardin public.
Le Monestier, j’éteins le moteur. Dehors le silence est saisissant. Le paysage alterne des massifs boisés, des prairies et des hameaux en grappes à perte de vue. On le dirait mis en ordre par des mains habiles. Flamboiement de l’automne, brise légère et blancs cailloux.
Mélissa Lack – slim noir, platform shoes, t.shirt et surchemise – a 23 ans. Elle m’accueille dans un local municipal empli de matériel d’esthétique. Je m’assois sur la chaise. Petite table avec lampe, limes, laques multicolores, machine à UV, ciseaux, cleaner, dissolvant, crème, pinceaux ronds, serviette et coussinet d’une propreté impeccable forment le bar à ongles. Je chasse la pensée réconfortante d’une manucure, sors carnet et stylo tout en questionnant mon sujet : promotion d’une nouvelle esthéticienne au Monestier, ou vitalité d’un territoire rural
LA SOCIO-ESTHÉTIQUE, LE SOIN COMME MÉDIATION
« Ma spécialité, c’est l’esthétique comme soin de support », se lance Melissa impatiente de commencer l’interview. « J’interviens dans les structures sociales et médico-sociales auprès des personnes fragilisées par des traitements, des handicaps ou l’isolement ». Ah bon ? Alors ce n’est pas juste pour se faire belle ? « Avec mes soins j’améliore l’image de soi des personnes, et c’est très important pour les aider à faire face aux difficultés. Ça joue sur l’estime de soi », explique la jeune femme qui déplore que ses interventions ne soient pas remboursées par la Sécurité sociale. « En socio esthétique, il n’y a pas de protocole. On s’adapte à la personne comme elle est ce jour-là. On prend le temps de sentir les choses avant de commencer le soin. Par exemple je ne me lance pas dans un soin de deux heures quand je sens que, pour une personne, vingt minutes c’est déjà long ». Soignante, médiatrice… je commence à comprendre : Mélissa joue un rôle social.
QUAND LES PLANÈTES S’ALIGNENT…
La socio-esthétique est un métier méconnu que Mélissa a découvert grâce à la Mission locale alors qu’elle était en panne d’orientation. Cette « révélation » lui a donné une motivation hors du commun pour accomplir en une année au lieu de trois le parcours scolaire du CAP avec la spécialisation. Sa trajectoire est irrésistible : à peine le diplôme en poche, sa formatrice et tutrice de stage lui cède sa place au foyer de vie de Cunlhat où elle travaille à 70 % depuis décembre 2020. Une chance inouïe pour un emploi si rare, d’autant plus que Mélissa ne s’imaginait pas vivre ailleurs : « J’ai grandi ici et je ne me voyais pas du tout partir dans une grande ville. Nous, on veut une maison en pierre, un jardin… Et puis ici tout le monde se connaît, alors j’ai un super bouche-à-oreille. » En parallèle, elle développe une activité libérale « en esthétique pure, on ne va pas se leurrer », même si son objectif est d’arriver à faire uniquement de la socio-esthétique.
UN RÊVE DE CAMION POUR ALLER VERS TOUS « Mon rêve ? Aller à la rencontre de tous les gens qui en ont besoin pour lutter contre l’isolement, offrir une écoute non médicalisée, discuter, les soulager par le contact, le toucher, valoriser leur image ». Mélissa est lancée, on ne l’arrête plus. « Je voudrais créer des partenariats avec de nouvelles structures en plus du foyer, de la Ligue contre le cancer ou de l’EHPAD Les Versannes à Job. Mais surtout j’ai un énorme projet, c’est un rêve. Clairement. Celui d’avoir un camion aménagé pour aller voir les personnes éloignées du soin et mettre mes prestations à leur portée. » Et là, cent mille étoiles scintillent dans les yeux de Mélissa alors qu’un ange passe dans le petit local aux normes PMR*. Elle commence à parler financement avant de ranger le sujet dans un tiroir mental, bien au chaud. Assez bavardé, il est temps pour Mélissa de rejoindre son prochain rendez-vous à domicile, impatiente et fière de pouvoir aider une nouvelle personne isolée.
Saint-Germain-l’Herm, à 1 000 mètres d’altitude au cœur des bois. Ici pas de problème de stationnement, on se gare facilement. Nous posons donc la voiture sur la placette du village, juste devant Le Colibri. Ouvert. La façade soignée et colorée contraste avec les bâtiments d’allure médiévale. Elle semble dire : par ici la vie !
LE COLIBRI : MICRO-CAFÉ ASSOCIATIF OU LIEU INCONTOURNABLE DE LA VIE LOCALE ?
Nous passons la porte insérée entre deux très belles vitrines exposant des sculptures en papier. Déjà nous sommes touchées par l’intention qui émane des lieux. « Entrez ! » nous invite une voix du fond. C’est Nathalie Davesne, directrice de l’association. Queue de cheval sur une écharpe rouge, allure et voix juvéniles. Il y a aussi un bénévole – « grâce aux bénévoles et aux salariées, le café est ouvert tous les matins y compris le dimanche. » L’espace bar est chaleureux, on s’installe et on papote sans effort. Nathalie est directrice depuis 2009, le lieu est ouvert depuis 2016. « Nous avons tout fait ici. » Nathalie « chemine depuis 17 ans » avec l’association. L’air de rien, elle égrène les différentes activités qui se cachent derrière la façade du Colibri, et nous commençons à comprendre pourquoi nous avons fait la route.
TOUT LE MONDE EN PROFITE
L’association est « un espace de vie sociale » agréée par la CAF : cela signifie qu’elle accueille les enfants après l’école pour un temps d’accompagnement à la scolarité. C’est un Point d’Appui à la Vie Associative (PAVA) labellisé par le ministère de la Ville, de la Jeunesse et des Sports ou, en d’autres termes, un lieu phare. La programmation culturelle rythme la vie locale avec une soirée par mois et une par semaine en été : « On accueille 150 à 250 personnes. Il faut bloquer la rue, installer la buvette, 80 chaises, 40 tables, la sono et toujours prévoir un espace de repli… ». C’est aussi une « Micro-folie » : un musée numérique modulable donnant accès aux œuvres d’art proposées par le parc culturel parisien La Villette et qui circule dans les EHPAD et les collèges. Nathalie vérifie qu’elle n’a rien oublié. « Ah oui, on anime des ateliers numériques pour répondre aux demandes les plus courantes, et il y a Le Colibri itinérant aussi… » On a fait le tour ? « Depuis 2021, nous sommes Fabrique de Territoire suite à l’appel à manifestation d’intérêt. Avec La Licorne, un café-concert partenaire avec lequel l’association a monté sa candidature pour le projet. »
L’HÔTEL DE FRANCE : UN PASSÉ GLORIEUX, MAIS PAS QUE…
«Nous avons maintenant 6 salariées avec un budget d’environ 180 000 €. Nos activités occupent 500 m² d’espaces de stockage disséminés un peu partout. C’est problématique. L’idée est de regrouper nos activités dans un lieu unique pour créer encore plus de liens. Venez, je vous emmène. » Nous quittons à regret notre nid douillet, direction route de La Chaise-Dieu. Cette fois, on s’arrête devant l’Hôtel de France. « Voilà, c’est là ! », lance fièrement Nathalie. Dedans, des bâches de chantier couvrent le sol. Il y a des enduits, un échafaudage, de la
musique, deux électriciens et deux bénévoles avec pinceaux. « Ça fait 1200 m² mais nous avons dimensionné le projet associatif pour 800 m² au départ. Il y a trois grandes salles en enfilade, deux bureaux, deux cuisines, un jardin pour nos soirées d’été… », déroule Nathalie en nous guidant dans le palace en rénovation. Waouh ! On croit rêver.
VERS UN TIERS-LIEU XXL AVEC UN PROJET SOCIAL « DE OUF »
Le résultat, comme souvent, est le produit du hasard tempéré par l’effort. Cet Hôtel de France était en vente depuis 16 ans : aucun projet d’achat ne tenait face à l’ampleur des travaux de mise aux normes. « En 2021, la CAF a choisi de nous accompagner vers un projet d’achat. Nous étions en confiance, et nous y sommes allés. Nous avons d’abord reçu une subvention équivalente à 80 % de l’investissement initial, puis une seconde subvention pour la mise aux normes. La Mutualité Sociale Agricole (MSA) nous aide également sur ce projet. » La dimension sociale du lieu sera affirmée avec la possibilité de rendez-vous avec la CAF et la MSA, dans des bureaux qui auront leur propre entrée. Le Colibri aura pignon sur rue avec une exposition mensuelle, de même que les ateliers numériques, artistiques et scolaires « pour un mix socio-culturel fécond ». Ouverture de cette nouvelle fabrique de territoire prévue cet été
Nous filons sur la départementale le long de la zone industrielle. Entre Gedimat et Bâti Brico s’élève le témoin d’un passé français : la cheminée en brique rouge. À hauteur du numéro 100 nous sortons et trouvons le Moto Club Livradois.
D’ABORD FAIRE BÉNIR LES MOTOS…
Nous poussons la porte d’un bâtiment bas et long bardé de bois. Odeurs d’aggloméré dans un espace propre et rénové. Naïvement, je me faisais une idée plus grasse d’un moto club. Nous ne verrons pas les motardes cuirassées et n’entendrons pas rugir les moteurs mais l’ordre et le soin apportés au local témoignent des efforts d’une importante communauté. À l’étage est aménagée une salle de réunion digne d’une banque suisse avec tables en U, paperboard et vitrine exposant les riches heures du club : trophées, médailles, programmes de courses, le tout dûment scellé par des cadenas. Alors que j’admire une très grosse coupe d’argent montée sur un socle en bois tourné à la main où se lit sur une plaque la mention « MC – 1956 », le Président raconte une vraiment drôle d’histoire : le club est né dans les années 50 sous l’impulsion de l’abbé Coste qui menait un groupe au départ d’Ambert jusqu’à Rome pour faire bénir les motos. Okaaaay…
… PUIS FAIRE ROULER LES MEILLEURS PILOTES
Ah oui, au fait : Stéphane Duret est président du club depuis 17 ans. Nous allions oublier de le présenter pour une raison simple : il est absolument normal. Silhouette normale, Stan Smith aux pieds, jean Levis, sweet à capuche gris, cheveux sans peigne, lunettes de vue. Stéphane a 48 ans mais nous gagerions qu’il était tel quel à 38 ans et qu’il sera tout semblable à 58 ans. Il est juste à sa place – ou à sa juste place – « plus organisateur que pilote ». Lui, ce qui le fait vibrer, c’est l’organisation. Si, si, vous avez bien entendu : l’organisation. « Le travail de l’ombre peut être un peu pénible mais le jour J… quand on voit toutes les pilotes arriver, c’est… waouh ! », confie celui qui travaille sans relâche à la notoriété du club. « Les meilleurs pilotes du monde sont venus rouler ici. Je pense à Stéphane Peterhansel ou à Richard Sainct, mais aussi aux guests comme Guillaume Canet. » Comme cette évocation me laisse de marbre, il ajoute quelques noms de gloires locales : « Alban Dauphin, Yoan Voldoire, Pierre-Yves Artaud, Maximilien Gourgouillon , Corentin Poutignat : ces jeunes ont commencé ici et sont arrivés au plus haut niveau ». Bon OK, le Moto Club Livradois, c’est du lourd.
COMMENT LE CLUB A RÉUSSI SON CHANGEMENT D’ÉCHELLE
Mais alors comment est-on passé de « bénir les motos » à « faire rouler les championnes » ? « Nous sommes dépositaires d’un immense savoir-faire reconnu par les fédérations, très peu de clubs français sont capables d’en faire autant… La Rand’Auvergne, par exemple, c’est 600 participantes et 600 bénévoles mobilisées pendant trois jours depuis 33 ans. Il faut du monde pour tracer, contrôler, servir, soigner, désinstaller. Sans compter les inscriptions… cette année, nous avons reçu 1 100 demandes pour 400 places. Nous allons favoriser celles et ceux qui viennent de loin – les Belges, les Corses, les Bretonnes, les Allemandes, les Anglaises – et demander aux pilotes des environs de venir aider. » Ainsi, pendant l’ère Duret, le moto club a-t-il organisé deux championnats de France et un championnat du monde d’enduro, ainsi que deux championnats de France de trial. En septembre 2023, Stéphane et son équipe accueilleront le championnat du monde de trial sur le territoire.
LE TERRITOIRE, L’ENTRAIDE ET LE FEU DE LA MOTIVATION
Je reconsidère le président d’un œil neuf : cet homme est-il vraiment normal ? Lui aussi est un compétiteur : il remporte ses victoires sur le plan administratif. On réalise que sa capacité à fédérer est d’autant plus énorme que le club n’emploie pas de salariée. « Je me sens très soutenu par l’équipe, je délègue beaucoup », s’empresse d’ajouter l’hyper président qui confesse qu’avec « 100 % de bénévolat, c’est quand même un peu tendu ». Les recettes sont redistribuées aux bénévoles sous forme de repas annuel – près de 800 invitations – mais aussi sous forme de cadeaux de marque, de stages et d’aide aux pilotes. Il existe toute une économie locale, et même forestière, autour du club. Avant de partir, Stéphane Duret remercie les nombreux soutiens qu’il reçoit avec une spéciale dédicace aux pilotes : « Pour continuer à rouler, il faut organiser »
Nos corps en mouvement. Dans la forêt. En silence. Aurélien - habitant de Fournols - nous emmène dans une clairière au bord de l’eau, un endroit qu’il affectionne, un de ces coins secrets qu’on partage avec ceux qu’on aime. Merci
« Je ne sais pas si je suis plein d’énergie. Je dirais plutôt que je laisse pleinement l’énergie circuler. C’est une sensation intérieure » explique celui qu’on nous a présenté comme masseur-kinésithérapeute, couvreur-zingueur, organisateur d’événements avec 10 Solutions et que nous découvrons de surcroît apprenti instructeur d’art martial, en couple et papa. « Je vais très bien. Je n’ai pas le sentiment d’être débordé » commente Aurélien, jambes allongées, chaussures « five fingers » aux pieds. A-t-il du temps libre ? Le jeune homme prend le temps de laisser mûrir la réponse. « Je ne vois pas mes activités comme un travail. Il y a du temps libre dedans. D’ailleurs, le temps est toujours libre, non ? » Ce renversement de la perspective habituelle nous ravit et nous sentons nous aussi que nous sommes là parce que nous l’avons choisi
RALENTIR
Le soleil monte dans le ciel, sa lumière vient nous lécher le front. Il est urgent de ralentir. « Dans la santé, les personnes veulent juste arrêter tout de suite une douleur qui est une souffrance. Mais il est nécessaire de déconstruire avant de reconstruire. Et ça prend du temps » commente Aurélien. « Il n’y a pas de résultat durable et intéressant dans l’immédiateté. Les gens veulent être soulagés instantanément. On se trompe de problème. » Et d’illustrer son propos avec une scène de rue que même les plus jeunes d’entre nous ont pu observer : « Les anciens, dans le passé, s’asseyaient sur un banc et regardaient passer les choses afin de connaître le bon moment pour l’action ». Nous qui pensions que c’était pour tuer le temps…
PRODIGUER DES SOINS BASÉS SUR L’ÉCOUTE C’est la raison pour laquelle Aurélien a choisi de pratiquer son activité de soignant à domicile. « Ce mode d’exercice permet de me libérer et de me donner du temps par rapport à une pratique en cabinet. » Là aussi, Aurélien qui « ne prend qu’un seul patient à la fois » change la perspective par rapport aux métiers du soin qui sont devenus plus techniques, centrés sur quelques gestes précis, « rapides, rentables ». Au cœur du quotidien des gens, sa présence centrée sur l’écoute « libère les mots – et les maux – des personnes » qu’il rencontre. « Il en découle une ouverture propice pour dissoudre les barrages intérieurs qui empêchent la circulation de l’énergie et la guérison. » Saviez-vous par exemple que notre foie se régénère entièrement toutes les trois semaines ? Un phénomène naturel entravé par de multiples causes .
VIVRE SUR UNE TERRE RICHE
Son activité de kinésithérapeute l’a conduit à faire des remplacements sur de nombreux territoires. Aurélien est franco-belge. Né à Vichy, il a étudié en Belgique. Il affectionne les destinations avec « des terres volcaniques, des terres riches et vivantes ». Fort de ce constat, il décide finalement de s’installer sur le territoire d’Ambert Livradois Forez. « C’est une source d’équilibre pour moi. Il y a tout ce que j’aime – la nature, le calme – et depuis quelques années un renouveau, une effervescence associative et culturelle » qu’il constate à Fournols mais aussi dans tous les autres villages. « Rien qu’à Fournols, nous avons cinq associations actives avec des événements toute l’année pour tous les publics et pour tous les goûts – c’est incroyable. » Pour Aurélien, « cela témoigne d’une envie forte de nourrir la joie, le partage, le vivant ».
EN QUÊTE D’HARMONIE AVEC LE TOUT
Être bien dans son corps, dans sa tête et dans son cœur. Tandis que la nature murmure à l’unisson, nous sentons que chacun aspire au même but. « Comment ramener de l’humanité, du partage et de la fraternité dans notre société alors que le sens du courant pousse à nous diviser ? » Pour le jeune homme, c’est sûr, c’est LE défi. Il déplore la vision catastrophiste selon laquelle l’être humain est néfaste pour le reste de la planète. « Si nous avons la capacité de détruire, nous avons celle de rectifier, de nourrir, d’équilibrer. Je pense qu’il faut réorienter son regard vers le beau. » Encore un changement de perspective auquel nous sommes appelés, collectivement. Sur le sentier retour, nous songeons que tous les êtres humains sont des disciples en chemin et nous réjouissons d’avoir croisé celui d’Aurélien
Enfant de la balle ? Roland ne l’était pas. En arrivant impasse de Terre rouge à Ambert, on s’apprête à rencontrer un outsider. Ce fils d’agriculteur sans relation avec le milieu a posé ses valises à Valcivières, a monté son chapiteau et enseigne les arts du cirque. Bravo maestro !
Nous tournons à l’angle de l’ancien centre équestre sur la départementale, et nous garons rapidement sur un terre-plein. Devant nous, un ensemble bâti bien entretenu. Nous posons pied à terre et humons l’air vif. Le vent transporte des odeurs de foin. Au loin, les nuages en bande caressent les flancs de Valcivières quand déboule un grand chiot couleur de hyène. Suivi de près par son maître : Roland Touril, la quarantaine juvénile. Jean, baskets et boucle d’oreille à plume. « Bonjour ! Vous venez pour le portrait ? » Oui, c’est bien ça. « Je vous attendais. » Nous nous serrons la pince tandis que la jeune chienne, Ulule, un berger auvergnat de trois mois, sautille joyeusement autour de nous. « Ne vous inquiétez pas, elle est gentille comme tout. » Roland commence à nous entretenir du domaine où il a établi son activité J’peux pas. J’ai cirk, elle aussi toute jeune
LE PLUS GRAND CHAPITEAU DU MONDE
« Je vous montre le chapiteau ? » demande-t-il. Nous contournons la bâtisse et découvrons une grande tente multicolore. Alors qu’il nous invite à pénétrer dans ce temple, Roland a des étoiles dans les yeux. « Un rêve de gosse », inutile de préciser. D’occasion trouvé sur leboncoin, le chapiteau appartenait à une école de cirque qui a grossi. Nous espérons secrètement que c’est un bon présage. La mairie lui a prêté le terrain pour qu’il puisse développer son activité dans un lieu propre. « Ça va me permettre de diminuer le temps passé sur la route et au montage/ démontage du matériel. » Mais oui, d’ailleurs : où est le matériel ? « Venez » dit Roland que nous suivons jusqu’au parking, précédés de sa chienne.
UNE ÉCOLE DE LA CONFIANCE
« C’est un Hyundai, le camion. Il est rallongé, avec une remorque de 2,30 mètres. » Roland commence à ouvrir portières et caisses. Méticuleusement, il sort le matériel et nous explique l’usage de chaque objet : tapis, bascules, cerceaux bleu et rouge, monocycles, balles et anneaux, cordes et tissus. « C’est ultra physique. On travaille la souplesse, le gainage, toutes les parties du corps avec un muscle. » Roland aime aussi le « partage, l’entraide qu’on va s’apporter les uns les autres. Tout le monde peut s’inscrire. Il faut apprendre à se connaître, se découvrir. Quel que soit l’âge des personnes, je m’adapte à l’envie, à la morphologie.
ASPIRATION ET TÂTONNEMENTS
Quand tout est remballé, on s’assoit à l’arrière du camion. Une aura de mystère nimbe le quadragénaire. Où était-il avant et que faisait-il ? Pourquoi avoir attendu vingt ans avant de réaliser son rêve ? Roland répond : « À 20 ans, j’ai su que je voulais travailler dans le cirque, le BISAC* était pour moi. Je suis allé à Paris, j’ai rencontré Monsieur Italo Medini. Je savais un peu jongler, un peu marcher sur une boule. Je lui ai dit : prenez-moi, et il a dit : OK. J’ai eu mon brevet, mais je n’étais pas du sérail. Je n’ai pas trouvé de travail. » À partir de là, Roland enchaîne divers boulots alimentaires, voyant s’éloigner chaque année davantage la possibilité de réaliser son rêve.
UNE NOUVELLE FAMILLE DE CIRCASSIENS EST NÉE
Mais chacun sait, au fond, que l’eau n’oublie pas son chemin. En 2019, Roland loue une maison à Valcivières, attiré par le territoire d’Ambert Livradois Forez qu’il a découvert en vacances chez son frère. Puis, en 2020, il teste son projet dans le cadre de l’Université populaire. « J’ai démarré à Valcivières dans la salle municipale. Comme ça marchait, je suis allé voir à Arlanc. Ça a marché aussi. Alors j’ai essayé la Chaise-Dieu, puis Saint-Anthème en 2023. Et ça marchait toujours. » Maintenant, l’école reçoit le soutien de la Communauté de communes pour promouvoir le festival des arts du cirque Les Folie’s Cirkus, à Valcivières. Prochaines étapes ? « Depuis l’an passé, mon école est affiliée à la Fédération Française des Écoles du Cirque. Mon idée, c’est d’ouvrir une spécialisation : une école professionnelle qui délivre le BISAC ou le brevet professionnel. »
Nous sommes surexcités à l’idée de rencontrer Étienne alias @le_dur_de_la_feuille sur Insta ! Son compte est si populaire que sa réputation le précède. Portrait d’un des derniers artisans papetiers de France
Sur les hauteurs de Marsac-en-Livradois, le printemps est une féérie. Des milliers de minuscules fleurs violettes et jaunes tapissent les prés rappelant les incrustations du papetier. Le voilà, justement. Jean bleu, t-shirt blanc, yeux bleu azur, cheveux blonds noués au sommet du crâne. Étienne a 29 ans. Nous coulons dans les petits fauteuils du salon de jardin avec vue sur les monts du Forez. Comme nous goûtons cet instant, Étienne nous rejoint : « J’ai un côté explorateur qui revient toujours au pays. J’aime trop ma région. Chaque retour ici était si fort, la nourriture, la jasserie familiale avec sa source… j’adore. Je reste. » Les plages de rêve et destinations du bout du monde n’ont plus de secret pour lui. Maintenant, Étienne va pouvoir se poser dans la plus belle région du globe : la sienne.
EXPLORER LA CRÉATION ARTISANALE
Ayant jeté l’ancre, Étienne parle encore d’exploration. « Même si j’ai fait des études de sport, j’adore le travail du bois, du papier. J’ai envie d’exploiter ces talents en développant des gammes créatives de qualité. » Comme nous semblons sceptiques, Étienne livre un aperçu de ce que peuvent être les débouchés commerciaux du papier artisanal : « C’est une production à la demande pour les particuliers et les artistes. Le sur-mesure intéresse les aquarellistes, les dessinateurs, les peintres. Il y a d’autres possibilités. Le papier à fleurs, par exemple, est utilisé pour les étiquettes de bouteilles de vin, les abat-jour, les menus de restaurant, les faire-part de mariage, l’impression de poèmes. Il y a plein d’usages à inventer. » Attaché aux savoir-faire ancestraux du Livradois[1]Forez, ce papetier explorateur pourrait en réinventer les codes.
LES SAISONS AU MOULIN
Alors, comment Étienne est-il devenu papetier en 2023 ? Un « pur hasard ou presque ». À l’été 2022, il est recruté au moulin Richard de Bas pour aider le papetier durant la saison haute. « Il fallait être polyvalent, bricoleur et costaud ! pour porter 25 kilos à bout de bras quand on sort les plus grands formats de feuilles de la cuve. C’était pour moi. » Il s’entend très bien avec le maître papetier et il apprend vite. Dans le moulin entièrement mécanique, il répète des gestes effectués pour la première fois en Chine au IIe siècle avant Jésus Christ . « Il y a quelques évolutions, mais les gestes sont sensiblement les mêmes », précise-t-il. La seconde saison est éprouvante : le maître papetier s’est coincé le dos, Étienne doit assurer toute la production à lui seul.
LE DUR DE LA FEUILLE
Qu’importe, puisqu’il s’estime « hyper chanceux ». Il a « visité le moulin étant petit, comme tout le monde ici. C’est un monument exceptionnel et assez unique en France, où les moulins à papier mécaniques se font rares ». Le nom de son compte Insta traduit finalement son approche du métier. « Dur de la feuille » : un jeu de mots qui souligne le contraste entre les bras musclés et la finesse du papier. Quant aux sons qui l’entourent, Étienne adore celui « de l’eau, de la planche qui plonge. C’est très ASMR*, avec un côté hypnotisant. » Il aime « le travail de la matière et le contact avec le public », il se sent « privilégié » et sa motivation l’aide à surmonter les difficultés. Il apprend « le fonctionnement de l’eau, du moulin, le bricolage pour entretenir l’outil et fabriquer les feuilles en gérant tous les paramètres »
EN TRANSITION PROFESSIONNELLE
Maintenant, Étienne est détenteur d’un savoir-faire rare. Le moulin ayant été racheté, le papetier explorateur s’est questionné sur son avenir professionnel. « C’est difficile d’être reconnu quand on fait de l’artisanat d’art. Le métier n’est pas codé », commente-t-il. Nous ne sommes pas inquiets, le jeune homme a de la ressource : « Il y a un engouement pour l’artisanat écoresponsable. J’ai reçu des demandes du monde entier sur Instagram pour des collaborations. Comme j’étais salarié, je ne pouvais pas dire oui. Localement aussi, il y a plein de gens intéressés pour faire des projets. » Les opportunités semblent finalement prometteuses et Étienne se prépare ! Il aménage en ce moment sa grange pour démarrer au plus vite son activité d’artisan papetier .
Le Montel, un hameau sur les hauteurs de Novacelles à 900 mètres d’altitude. Bois noirs et vastes cieux changeants. Nous posons pied à terre et avançons jusqu’à la grange. Fleur, 26 ans, nous attend en combinaison de chantier.
À côté d’elle, Guillaume, son mari. « Bonjour », « bonjour ». La maison n’est pas chauffée, aussi nous installons-nous au soleil entre une tranchée de phytoépuration et un ensemble disparate de matériaux de construction. Face à ma mine inquiète, Fleur dit « j’ai toujours rêvé d’avoir une maison avec plein de travaux pour l’aménager et penser les espaces de vie comme j’aime ». Ouf ! Le cauchemar se dissipe. Plutôt grande, Fleur présente un mélange curieux de timidité et d’assurance. « Mes parents sont venus vivre à Saint-Bonnet-le-Chastel quand j’avais 6 ans. Comme je suis fille unique, je passais beaucoup de temps seule avec les animaux », explique-t-elle tandis que quatre chats et un chiot se frottent à nos pattes. D’un autre côté, Fleur est partie de chez elle à 15 ans se disant alors : « Si je reviens vivre ici, c’est que j’ai raté un truc. » Tous les possibles étaient ouverts pour la jeune femme en quête d’ailleurs qui s’est formée à l’ébénisterie dans le Jura, puis aux beaux-arts à Brest.
COMME UN GOÛT D’ENFANCE
« Contrairement à ce que j’imaginais, je n’ai pas du tout aimé la ville. Et la mer avec l’univers marin ne m’a pas vraiment plu », se souvient Fleur. Après huit ans d’études supérieures, elle choisit de revenir sur Ambert Livradois Forez – où elle a rencontré son mari – et de retaper un corps de ferme à l’abandon depuis 100 ans. « Ce sont les paysages qui m’ont ramenée ici, les petits coins secrets, la possibilité d’être seule mais aussi de voir plein de monde en été. » Elle trouve « super intéressant » le mélange « des gens du coin et des néo-ruraux ». Passionnée par l’habitat, Fleur a aussi été sensible au « prix des maisons » et au « patrimoine super authentique, super simple ». Face à nous, la grange massive et rustique témoigne de cet héritage.
L’ART ET LA MANIÈRE D’HABITER
C’est son projet de fin d’études qui l’a ramenée au village. Il fallait choisir un sujet de design en lien avec l’actualité sociale et environnementale sur lequel elle allait travailler pendant deux ans. Elle s’est alors demandé « comment un village pouvait passer de 2 000 à 250 habitants en à peine trois générations » et a investigué. Puis elle a choisi un lieu en forêt où construire une cabane mêlant « design, architecture et artisanat » : un projet en lien avec les habitants et la ressource bois présente en abondance sur le territoire. « La coupe et la transformation des arbres sur place ont entièrement été effectuées au sein du village dans l’atelier familial » précise-t-elle. C’est à ce moment-là que Fleur s’est qualifiée pour entreprendre la rénovation d’une véritable maison, la sienne.
UN CHANTIER À QUATRE MAINS, BIENTÔT
SIX Tout de même, nous demandons à visiter le chantier. Nous entrons dans la grange où il fait plus froid qu’à l’extérieur, et faisons attention où nous mettons les pieds – ici des câbles, là des montants en bois – tout en levant le nez. Fleur parle avec intérêt. « C’est une grange banale, commune. Avec une boîte dedans qui est la partie habitation. Nous avons conservé les volumes, juste un peu agrandi les pièces, mais ça reste intimiste, bas de plafond comme un cottage anglais », note Fleur qui a vécu ses jeunes années dans la banlieue de Londres. Et le choix des matériaux ? Écologique, of course ! « Nous travaillons tous les week-ends dans la maison parce qu’en septembre… », et nous comprenons que le couple attend un enfant. La maison, en effet, peut en accueillir quelques-uns avec 100 m² de surface au sol, un étage et un grenier
DESIGN DE MOBILIER ÉCO-CONÇUS
Pour autant Fleur imagine plutôt « un ou deux moutons pâturer le champ dessous » dans quelques années. La famille nombreuse n’est pas le projet. « Je ne veux pas m’enfermer, j’ai besoin que l’avenir reste ouvert » dit-elle en jetant un coup d’œil à l’autre grange effondrée plus loin sur le terrain. Nous flairons que le chemin se poursuit à l’endroit de cette ruine. « On ne peut pas y aller pour le moment, mais plus tard… j’aimerais en faire un atelier et créer mes propres pièces de mobilier, éventuellement les vendre en collection limitée » confie à voix basse celle qui ne s’interdit pas de faire un doctorat pour mettre en forme ses réflexions sur l’habitat et le patrimoine local. Mais chaque chose en son temps